Boulevard et Trébuchet ou Hologramme des hologrammes

Sans prétention, ce roman magnifie Strasbourg : la cité alsacienne se mue ici en une somptueuse métropole attirant des visiteurs du monde entier. Outre sa Cathédrale, elle dispose à présent de la plus belle allée du monde, et d’une colline rappelant le Paneum de l’antique Alexandrie : la splendide butte de Mars et l’Académia, un parc enchanteur où, immergé dans les parfums et les couleurs, on aime à philosopher sous l’égide d’Apollon et de Dionysos, les deux fils de Zeus… 

Boulevard et Trébuchet

Hologramme des hologrammes

Vincent Lepalestel

978-3-924343-55-2

Le 18.04.2021

Nihil durare potest tempore perpetuo : cum bene sol nituit, redditur oceano (…)Tout est fugace, absolument tout : ainsi le soleil qui, après avoir brillé tout son soûl, retourne à l’océan (…)

    Voilà une sorte de « vanité » pompéienne, à savoir un graffiti conservé grâce au Vésuve, en octobre 79, mais détruit par un orage en 1913, et servant d’écrin au roman Boulevard et Trébuchet… Or ici, l’aphorisme de l’Ecclésiaste « vanité des vanités » devient « hologramme des hologrammes », et tout est dédramatisé grâce à… un chat.

    Évidemment, l’idée en a été soufflée à l’auteur par le grand Gustave ; ici, le couple de personnages refait également le monde, assis sur un banc, dans un nouveau parc strasbourgeois baptisé l’Académia, d’où l’on aperçoit les lignes bleue des Vosges et verte de la Forêt-Noire. On se trouve au sommet de ladite butte de Mars, colline artificielle coiffant l’ancienne place de Haguenau… C’est dans les profondeurs de ce mirifique jardin public, planté d’essences et d’innombrables fleurs exotiques, qu’on a fait passer l’ensemble de l’ancien réseau routier et ferroviaire, tram compris. Partant de ce nœud, un tunnel rejoint la ville de Kehl ; en surface a été aménagée l’Allée du Mercure Vosgien, une promenade recouvrant ce qui était naguère les trois avenues, des Vosges, d’Alsace et de la Forêt-Noire. La magnifique allée piétonne, plantée d’arbres et agrémentée de commerces de proximité et de terrasses de restaurants ou de cafés, est parcourue par des minibus à hydrogène gratuits pour les riverains.

   Un grand nombre de sujets, contemporains ou non, sont abordés dans cette sorte de pièce de théâtre, tandis que les deux compères sont progressivement gagnés par l’ébriété, d’où un ton de plus en plus badin. Jusqu’où Valentin Boulevard et Victorien Trébuchet, nos philosophes, parviendront-ils à demeurer sur les sentiers bien balisés du cartésianisme ? Et si on allait plutôt chercher « le point ultime de la sagesse » (« der Weisheit letzter Schluss »), parmi les graffiti de Pompéi ? L’un d’eux, une sorte d’aphorisme émanant d’un certain Claudius V. Marcellus (20 – 81 après J. C.), dit simplement :  

Rien ne peut durer toujours : une fois que le soleil a brillé tout son soûl, il retourne à l’océan. 

    Premier extrait :

     « Il doit être dix heures, en ce radieux matin de mai. Répartis sur le pourtour du jardin, et dans l’attente des flâneurs, les huit bancs de grès rose, appelés en Alsace « bancs-reposoirs du Roi de Rome », offrent leur élégante courbure au soleil printanier. Assis sur l’un d’eux, près du bougainvillier, un quadragénaire discute au téléphone, écouteurs sur les oreilles ; il tient une grande tablette allumée entre les mains. De grande taille, il est d’un physique avantageux. Comme pour un cours magistral, on l’entend presque déclamer qu’en guise de réseaux sociaux, dans les rues des cités antiques, les citoyens affectionnaient les graffiti ; à son correspondant, apparemment assez jeune, il explique encore : « Je t’enverrai celui que j’ai en fond d’écran avec sa traduction, tu verras, c’est beau ! Moins le gribouillis, que son contenu : se dire que l’auteur est sûrement mort en octobre 79 de notre ère…  (…)

 Autre extrait :

 Victorien TRÉBUCHET – Que j’envie ce chat, de se prélasser ainsi dans l’herbe ! En fait, c’est dans le dionysiaque qu’il se situe, le point ultime de la sagesse…  Pardon, je vous ai coupé, ce que vous dites des civilisations passées m’intéresse. Oh, zut, je crois que j’ai reçu un texto, permettez-moi de vérifier… Non, fausse alerte, ça tourne…

Valentin BOULEVARD – Eh bien, ma théorie, pour fantaisiste qu’elle puisse paraître, permet d’échafauder des scenarii tout à fait crédibles. J’ai toujours trouvé naïf, voire infantile, ce qu’ont réalisé, entre autres, les Américains, je veux parler des capsules de temps se voulant des témoignages des réalisations humaines. Celle d’Atlanta, par exemple, peut-être que le nom vous dit quelque chose, Crypte de la Civilisation ?

Victorien TRÉBUCHET – Ah, oui, attendez… oui, je me souviens… cette ancienne piscine d’une université privée… Oglethorpe, ça y est, oui, on en a fait une chambre forte hermétique remplie de dizaines de milliers de documents et d’objets ou appareils divers.

Valentin BOULEVARD – Oui, bon, ça remonte aux années quarante. J’espère qu’elle est… disons… mise à jour régulièrement, si on veut que les hommes du futur parviennent à se faire une idée de nos prouesses technologiques.

Victorien TRÉBUCHET – Ma foi, on a le temps, je crois me rappeler que cette sorte de tombeau ne sera rouverte que dans plus de six mille ans…

Valentin BOULEVARD – Toujours est-il que ce blockhaus-témoin est prétendument à l’épreuve de toutes les catastrophes ; mais que c’est donc puéril ! Le niveau des océans qui monte de dix mètres, un super-volcan ou une météorite réduisant la Géorgie à l’état de cratère, une subduction un peu brusque ou que sais-je encore… Bref, passons, admettons que l’ensemble résiste encore pendant des siècles, et qu’un visiteur du futur réussisse à l’ouvrir : indubitablement, il restera perplexe devant un CD ou un DVD, et même s’il arrive à les lire, il ne comprendra sûrement pas nos hiéroglyphes, avec ou sans pierre de Rosette, puisqu’il lui manquera une langue de référence. Alors je me suis demandé si des civilisations d’il y a, mettons, cent mille ans, avait pensé à nous laisser les clés de leur évolution ; plus futés que lesdits Américains, ils n’auraient pas opté pour un tel outil. (…) »

Dernier extrait :

D’un drone survolant la butte de Mars et son parc ceint d’arbres majestueux, on aperçoit un homme assis sur un banc-reposoir de pierre incurvé, sans doute en train de téléphoner et, devant lui, des tapis de fleurs rivalisant de teintes chatoyantes ; entre deux massifs, sur la pelouse, on jurerait voir un petit quadrupède noir profitant du beau temps pour se livrer à une sieste. On distingue un promeneur gravissant la colline par l’entrelacs de sentes aménagées entre des médaillons de fleurs des prairies. Vers la fin des années 2020, Strasbourg a recouvré sa splendeur d’antan, celle à laquelle l’empereur Guillaume avait dû renoncer à la suite de l’armistice de Compiègne ; la Neustadt est même plus belle qu’à l’époque impériale allemande, puisqu’elle s’enorgueillit de la magnifique Allée du Mercure Vosgien, qu’un conseiller municipal quelque peu élitiste, Antoine Paphnuce, avait d’abord proposé de baptiser decumanus, comme cela se pratiquait dans la Rome antique pour les voies orientées estouest.
À son extrémité occidentale se dresse à présent ladite butte de Mars, colline résultant d’une prouesse technologique lui permettant d’atteindre une vingtaine de mètres d’altitude, tout en surmontant un tunnel à la fois routier et ferroviaire. De discrets miroirs sphériques, agencés à hauteur de toits, garantissent aux immeubles du pourtour un apport en rayons du soleil. Au sommet de l’imposant monticule s’étend l’Αcadémia, un parc devenu la fierté de la ville. C’est au conseiller susnommé que l’on doit ce nom prestigieux, nom ayant été retenu parce qu’il faisait référence au jardin où Platon enseignait à Athènes ; afin que l’allusion soit limpide, et par égard pour les Grecs contemporains immanquablement renvoyés à l’un des quartiers de l’Athènes d’aujourd’hui, on a privilégié le graphisme ΑΚΑΔΗΜΙΑ pour chacun des modestes panneaux marquant les quatre accès au lieu. Il fallait en effet tenir compte du hiatus opposant la valeur phonétique du H grec prononcé « é » dans les transcriptions latines, mais « i » en Grèce : or « Acadimia » au lieu de « Académia » en eût déconcerté plus d’un.
Pour désigner la hauteur, ce même édile snob avait, là encore, suggéré un clin d’œil à l’Antiquité, à savoir une grandiose colline artificielle d’Alexandrie, là où se tenait la fameuse Bibliothèque, en la faisant baptiser « Paneum ». Or, ni cette pédante appellation, ni du reste celle de decumanus, n’avaient été retenues en raison de leur désagréable consonance en français.  Quant aux noms de Mars et de Mercure, l’idée émanait d’un spécialiste en alsatique, lequel avait expliqué que, dans le massif des Vosges, les deux divinités romaines avaient été, jadis, conjointement assimilées au dieu gaulois Toutatès ; les conseils, régional et municipal, les avait adoptés à l’unanimité, d’autant plus que l’appellation « allée de Toutatès » eût sûrement prêté à Boulevard et Trébuchet toutes sortes de jeux de mots déplaisants. Les sonorités en nusse ou tatesse, avaient donc été bannies… L’ΑΚΑΔΗΜΙΑ de la butte de Mars est un opulent jardin d’où la vue sur la longue artère est imprenable avec, au-delà, la ligne verte de la Forêt Noire d’un côté et, de l’autre, lui faisant pendant, celle, bleue, des Vosges. Côté Sud, deux topiaires de buis, en forme de gargouilles grimaçantes se faisant face, encadrent une vue sur la cathédrale éternelle et qui, l’effet de parallaxe aidant, rivalisent de hauteur avec elle. (…)

Fin des extraits